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Comfort Theory par Julia Marchand

Au sein du MFA Curating ( Master of Fine Art in Curating ) de la célèbre école londonienne , Goldsmiths College , les étudiants animent des discussions autour des incontournables textes théoriques , auxquels viennent se greffer d ’ autres pépites d ’ auteurs moins connus . Dans l ’ un des amphithéâtres de Goldsmiths College où se retrouvent les étudiants du département artistique tous les lundis , on entend geindre les curieux venus écouter les éclairages de l ’ universitaire invité Graham Harman sur Greenberg et la philosophie . Graham Harman , personnage volubile et contesté associé au courant philosophique du réalisme spéculatif 1 qui tire son nom d ’ une conférence organisée à Goldsmiths en 2007 , est l ’ un de ses monuments théoriques que nous , jeunes commissaires en apprentissage , aimions critiquer , dépecer , analyser , voire faire taire . Nous lui préférions peut-être son homologue français Quentin Meillassoux . Leurs textes et leurs pensées ont irrigué nos conversations à l ’ issue desquelles nous réalisions que nous avions peu parlé d ’ art . « Quand il visite des foires d ’ art contemporain , son regard ne sait trop quoi regarder », soufflait l ’ un de nos intervenants au sujet d ’ un philosophe britannique . Alors armés d ’ outils théoriques « dernier cri », nous
1 La conférence initiale “ Speculative Realism ” réunissait quatre philosophes : Ray Brassier , Iain Hamilton Grant , Quentin Meillassoux et Graham Harman qui entendaient rompre avec la logique « anthropomorphique » des philosophies continentales au profit d ’ un tournant spéculatif orienté vers les objets , conçus comme des entités autonomes de notre « corrélation » avec eux
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2 Pedro Morais , « James Lewis : Néo-matérialisme », Le Quotidien de l ’ Art , vendredi 12 février 2016 : http :// www . lequotidiendelart . com / quotidien articles detail . php ? idarticle = 8658 consulté le vendredi 12 février 2016
avancions dans le monde des producteurs d ’ expositions en prenant souvent comme point de départ pour la conception d ’ expositions des textes théoriques et philosophiques au risque de plaquer leurs concepts sur des pratiques artistiques .
Le problème d ’ une subordination du geste artistique à une philosophie dominante réapparaît dès les comptesrendus d ’ expositions 2 . Le dialogue des disciplines « philosophie - art » peut être en soi extrêmement fertile . L ’ exposition personnelle de Pierre Huyghe au centre Georges-Pompidou en 2014 éclairait de manière singulière la décentralisation du regard « anthropocentré » dans l ’ expérience d ’ une exposition qui accueillait d ’ autres consciences ( non humaines ) et écosystèmes organiques afin d ’ élargir le champ des relations . Une roche parle , un chien comme spectateur déambule dans l ’ espace ; il doit probablement percevoir l ’ aspect le plus souterrain de l ’ exposition , celui que nous ne saisissons pas . Dans la lignée des courants philosophiques orientés-objets , sa pratique nous amène à reconsidérer le sujet , en tant que visiteur et co-témoin , mais aussi comme présence qui coexiste aux côtés d ’ autres présences intensifiées L ’ exemple Pierre Huyghe est devenu un classique pour comprendre « l ’ incarnation » ou « la manifestation » des nouveaux courants philosophiques audelà des textes . En somme , on les éprouve par l ’ entremise d ’ une pratique artistique qui se nourrit de différentes pensées , agissant comme interface et occupant cet espace réflexif de l ’ intérieur . Elle est habitée , elle n ’ illustre pas . Cette question de
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