De Sodome
à Lesbos,
une panique de
la pénétration
—
Louis-Philippe
Scoufaras
2 René Schérer, Zeus hospitalier, Éloge de l’hospitalité,
1993. Ouvrage conçu dans
le sillon de la guerre du Golfe
de 1991
par Cédric Aurelle
Louis-Philippe Scoufaras, artiste
gréco-canadien autodidacte basé à Berlin,
relit les mythologies occidentales dont il
propose la réinterprétation en corps et actes
sexuels dans le polyptique filmé The Trilogy
of Terror dont nous analysons ici le premier
volet, Panic, un film en 3D de 90 minutes.
Ce film est la lente apparition d’une
image terriblement troublante, une aube, un
matin du monde, un commencement et un
recommencement : au lever du soleil, dans
un paysage désertique, une scène de sodomie
entre deux hommes aux barbes caprines1.
Une image immense, aussi large que l’horizon, simplement projetée en 3D à même le
mur et dépourvue du maniérisme des installations vidéo contemporaines. Des nappes
musicales sombres et profondes accompagnent les 90 minutes du film d’un fond sonore entêtant. La scène, inspirée de la statue
antique de Pan s’accouplant avec une chèvre
conservée au musée archéologique national
de Naples, a été tournée en 2014 sur le mont
Sodome en Israël. Se pourrait-il que le principe immersif qui régit ces images, ainsi que
la pénétration performée à l’écran, opère une
fracture dans les logiques d’un présent dominé par les politiques d’exclusions et les peurs
qui les commandent ?
1 Interprétés par Arthur Gillet
et Jay Barry Matthews
Dans la Genèse 19, consacrée à
l’histoire de Sodome, on lit ceci : « Ils [les
étrangers ou les anges] n’étaient pas encore
couchés que les hommes de la ville – les
hommes de Sodome – cernèrent la maison,
depuis les jeunes jusqu’aux vieux, le peuple
entier sans exception. Ils appelèrent Loth et
lui dirent : « Où sont les hommes qui sont
entrés chez toi cette nuit ? Fais-les sortir
vers nous, pour que nous les connaissions. »
La suite est connue : la colère divine s’est
abattue sur la cité qui a été détruite par le
feu pour avoir enfreint les règles bibliques
de l’hospitalité. Mais l’infraction repose-telle sur le fait que les hommes de la cité
ont voulu connaître les étrangers, au sens
biblique du terme, c’est-à-dire charnellement, ou simplement désiré les rencontrer ?
L’exégèse chrétienne a voulu voir dans la
condamnation de Sodome celle de l’homosexualité et au-delà, toute forme de « dépravation » liée à l’échange sexuel en dehors de
l’union du mariage, faisant du corps étranger la source même d’un danger pernicieux
et d’une subversion. Dans son ouvrage intitulé Zeus hospitalier, Éloge de l’hospitalité2, le philosophe René Schérer explique
comment, dans la pensée occidentale, le
concept d’hospitalité revêt celui d’une érotique subversive dont le film Panic semble
ici procéder. Mais comprenons-nous bien,
ce n’est pas l’homosexualité qui est subversive ici, et encore moins son hypothétique
mise en scène pornographique : la référence
à la mythologie grecque, le décor solaire et
la nature même de la scène semblent certes
réunir les codes du porno gay hollywoodien
qu’une inscription dans le mont Sodome ne
fait par ailleurs que renforcer. De plus, les
stéréotypes de la mythologie apollinienne de
carton-pâte associés au kitsch gay semblent
appuyés par la mise en image d’un acte
sexuel appartenant aux poncifs de l’écriture
pornographique visant à stimuler le plaisir
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