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la digestion de courants philosophiques resurgit fréquemment au contact de l ’ art – et des artistes 3 .
Au-delà des risques que présentent ces courants philosophiques pour notre rapport à l ’ Histoire , 4 et de la platitude ontologique qu ’ ils entendent affirmer , la difficulté entendue est celle d ’ une sur-intellectualisation de notre rôle en tant que visiteurs ( professionnels de l ’ art et amateurs confondus ). À l ’ instar des pratiques conceptuelles qui ont instauré la primauté de l ’ intention et du processus sur l ’ objet fini ( donnant ainsi lieu à des expositions souvent dépourvues d ’ objets et arborant un esthétisme bureaucratique et ascétique ), l ’ esthétique relationnelle orientée-objet a pour effet corollaire une sur-interprétation , une sur-analyse de l ’ environnement de l ’ exposition . Ironie du sort , l ’ idée même des défenseurs d ’ une esthétique qui place l ’ humain sur le même pied d ’ égalité que d ’ autres éléments ( animés
3 L ’ art de l ’ artiste italien Giorgio Griffa , né en 1936 à Turin , est saisissant à cet égard . Depuis les années soixante , il développe un art qui semble faire la synthèse de l ’ arte povera , de Supports / Surfaces , des philosophies orientales ainsi que des recherches sur le nombre d ’ or .
4 Charlotte Cosson & Emmanuelle Luciani , « Animism / Shamanism , diving into Gaia ’ s spirit », Observatoire de l ’ art contemporain : http :// www . observatoire-artcontemporain . com / revue _ decryptage / analyse _ a _ decoder . php ? langue = fr & id = 20120764 consulté le 17 février 2016
SOUTH
5 Neil Beloufa , « Trois petits chats », MAY , n ° 12 , 2014 , p . 192 – 195
et non animés ) qui l ’ entourent est de décentrer le primat du spectateur sur l ’ œuvre ! La réception est restée centrale dans l ’ étude de la dynamique entre le visiteur et les œuvres d ’ art .
Au travail de l ’ esprit répond celui du corps . Depuis le début des années quatrevingt-dix , des écrits vont dans le sens d ’ une reconsidération du corps dans la production de savoir . Chargé de capacités précognitives , il interagit et comprend les stimuli extérieurs . L ’ esprit n ’ a plus l ’ apanage de cette faculté et l ’ Affective Theory s ’ attache à sortir de l ’ antagonisme cartésien . Le corps comme zone de production de savoir interagit avec d ’ autres corps ( ceux des objets , des animaux , de la nature ). On retrouve ici la pensée de Spinoza ou de Deleuze qui pense en termes de vélocité , de vitesse et de lenteur et d ’ intensité pour décrire « les corps » qui s ’ affectent , se transforment mutuellement . Il convient de nous tourner de nouveau vers l ’ exposition préalablement citée : celle de Pierre Huyghe . Un compterendu , rédigé par le jeune artiste Neil Beloufa , parle de cette contamination heureuse : « En avançant dans l ’ exposition , on s ’ aperçoit que les pièces que l ’ on reconnaît ont changé de nature au contact des autres et se sont mélangées , polluées . Elles ont perdu de leur autonomie et de leur efficacité d ’ antan pour faire émerger des formes et des articulations plus ouvertes à la manière d ’ une partition jouée librement par quelqu ’ un qui la connaît si bien qu ’ il peut tenter de la réinventer jusqu ’ à l ’ oublier 5 ».
Ce récit personnel nous oriente vers les écrits d ’ une autre figure universitaire , elle aussi associée à Goldsmiths College . Jorella Andrews fait partie de ces penseurs qui regardent l ’ expérience affective de l ’ art , ou l ’ art comme objet affectif , en proposant d ’ aller plus loin dans l ’ idée de sa réception . Nous l ’ avons vu , cette question est difficile à évacuer . Bien que profondément théo-
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C O M F O R T
T H E O R Y
J u l i a
M a r c h a n d