Atypeek Mag N°1 | Page 155

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la structure de notre système nerveux . Maintenant , comme je le dis dans l ’ intro , la notion de “ posthumain ” peut être mise en question , tant que le mot humain n ’ est pas défini . Une chose est sûre , certaines caractéristiques de ce qu ’ on considère comme la “ condition humaine ” se trouvent abolies par cette accélération accélérante , notamment la stabilité de nos perceptions et de notre identité elle-même .
Un autre point sur lequel je voudrais insister , c ’ est que cette notion de « posthumanité » n ’ est en rien une position morale . Il ne s ’ agit pas de rêver à des surhommes , ou à des saints . Simplement de mettre l ’ accent sur le caractère profondément fluide de notre constitution . Prends la « cupidité », par exemple . La cupidité qui pousse à avoir plus de femmes , de terres , de bétail , est-elle du même ordre que la cupidité qui nous fait désirer un ensemble symbolique de signes extérieurs de richesse et de position sociale ?
La première est l ’ expression d ’ un simple désir de gratification animale . La seconde en est une version hautement abstraite , et parfois franchement mathématique . Elles ont une racine commune , c ’ est sûr . Peut-on réduire totalement l ’ une à l ’ autre ?
Le remplacement des gènes par les « memes » en est un autre exemple . Dans le temps , un homme pouvait mesurer son succès par le nombre de ses descendants .
Aujourd ’ hui , le pouvoir se mesure d ’ une manière bien différente , par la façon dont on impose ses « memes », ses idées …
Quant à l ’ ego , de nombreux penseurs - dont McLuhan , encore lui - pensent que sa perception et sa structure diffèrent largement selon les civilisations .
Certains considèrent que la fusion progressive de l ’ homme et de la machine suffit à faire de nous des cyborgs . Pourtant , suffit-il de greffer un pacemaker à une grand-mère et un grand-père pour en faire des post-humains , lesquels resteront potentiellement scotchés dix heures par jour devant le Juste Prix et les retransmissions quotidiennes en direct du château de la Starac ’ ?
Mais voila un système parfaitement posthumain ! Et plus encore à cause de la télé que grâce au pacemaker ! Le « couch potatoe » est sans aucun doute un nouveau type d ’ être humain . Même sa physiologie est certainement différente de celle du chasseur-cueilleur du paléolithique . De surcroît , je suis convaincu que la télévision a apporté plus de modifications positives dans notre comportement qu ’ on veut l ’ admettre . Je suis personnellement très indulgent pour des phénomènes comme la Starac ’. J ’ attends la preuve que les générations qui ont vécu sans télé ni reality shows étaient plus lucides , plus savantes , plus démocrates , plus pacifiques que les nôtres . Un simple coup d ’ œil à un livre d ’ histoire suffit à montrer que ce n ’ est pas le cas . Et si la Starac ’ est le prix à payer pour l ’ Internet , la mécanique quantique , la liberté d ’ expression , la musique de Jon Hassel ou l ’ égalité entre hommes et femmes , moi je dis : « Hourra pour Jenifer ! »
Puisque nous en sommes à parler de post-humanité , où trouve-t-on les origines de ce concept de transformation de l ’ espèce ? L ’ introduction de ton livre mentionne à juste titre le surhomme communiste rêvé par les Soviétiques et son pendant aryen chez les Nazis …
L ’ idée d ’ une transcendance de l ’ humain est très ancienne . Henri Michaux définissait l ’ hindouisme comme la plus prométhéenne des religions , et il est certain que le vers du
Rig Veda : « Nous avons bu le soma , nous sommes devenus des dieux » est l ’ une des premières , sinon la première proclamation posthumaine de l ’ histoire . Sinon , je pense que le mouvement alchimique ( en Chine comme en occident ) réunit tous les éléments d ’ une philosophie du dépassement de l ’ humain par des voies technologiques , sans oublier leur rêve d ’ immortalité physique . Dans des temps plus récents , j ’ aimerais citer Olaf Stapledon , que je n ’ ai malheureusement pas eu la place de traiter comme il le méritait dans mon livre .
Quant aux nazis ou aux communistes , ils ont développé des versions pathologiques de l ’ idée , et la possibilité de telles déviances doit rester dans les mémoires comme un avertissement . Mais on ne saurait , comme le font certains , limiter la description d ’ un concept à sa pathologie .
Finalement , quitte à agiter les vieux démons et raviver le fantôme de Terminator , la seule vraie forme de post-humanité ne serait-elle pas à chercher du côté de l ’ intelligence artificielle , dans des créations humaines qui pourraient être appelée à nous remplacer ?
Franchement , je ne le crois pas . Pas parce que je pense l ’ intelligence artificielle impossible , pas du tout . Mais il me semble évident que depuis la conférence de Dartmouth en 1956 , qui vit la naissance du domaine , nous n ’ avons pas tellement avancé .
ATYPEEK MAG # 02 JANV ./ FEV ./ MARS 2017 155