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de la Cité ? 3° Peut-on parler d’un épistémicide21 volontaire ? Les critiques sont-elles justifiées ? En suivant des typologies (racistes ?) ne risque-t-on pas de retomber dans les excès de la communication non scientifique de la colonisation22, ou d’américaniser les sociétés arabes ? 4° Les régimes sont donc perçus à travers les cartes postales de la meilleure façon du monde. Cela nous amène à nous poser la question sur l’ostracisme politique qui a eu lieu après les indépendances et ses conséquences dans un contexte post-révolutionnaire. le marché de l’art, qui reste entièrement à développer. De plus, ces produits ont une âme, contrairement aux gadgets en plastique fabriqués en Asie. Les arabes s’interrogent sur leur identité. La demande culturelle est plus forte que jamais. D’après « Slown »24, il existe une grande indignation chez les citoyens qui, refusant les politiques autocratiques de leur pays, aspirent à plus de démocratie. Mais n’ayant pas forcément apporté les réponses attendues, elle a provoqué des soubresauts dans les esprits entraînant une curiosité accrue pour l’histoire, le patrimoine et la mémoire. Les citoyens soupçonnent un hold-up sur leur histoire et leur passé et recherchent, à travers l’image, à repenser librement toute leur culture et redéfinir leur identité. Fonction des images de cartes postales Les fonctions de la carte postale sont un produit de communication postal, à découvert, innovant et bon marché. Elles ont toujours été aussi un objet commercial publicitaire ainsi qu’un outil de propagande politique. Et un support d’illustration dessinée ou photographique, à vocation testimonial, de divertissement (humour), artistique, d’information, de propagande et de documentation. Les cartes postales sont un moyen de vulgarisation de l’inventaire du patrimoine national23 (matériel, immatériel). Ce patrimoine se subdivise en photos de la nature (sites et paysages, arbres, phénomènes naturels…), avec la recherche de la grandeur (les êtres humains donnent l’échelle) ou du caractère exceptionnel. Témoignages sur les cultures : villes, rues, maisons, monuments, villages, ouvrages d’art, etc. Des photographies de personnes (en costumes, découvertes). Des «avatars» qui rappellent le pays (lointain, perdu, disparu), des souvenirs (famille, maison, rue, quartier, ville, enfance, jeunesse, événements et personnages particuliers, etc.). Ce sont enfin des objets de mémoire, de collection, de spéculation et de recherche scientifique. Les cartes postales anciennes et modernes sont une source de micro histoire du monde arabe car elles apportent des indices et des témoignages qui sont en quelque sorte un «reflet objectif» de la réalité. Les images sont indissociables de la modernité. Le corpus est assez important pour que l’on s’y intéresse sérieusement. Quand à savoir si elles mentent : «Oui, peut-être, mais elles existent». Les cartes postales ne servent plus seulement à la correspondance mais sont devenues aujourd’hui des documents servant de preuve à des événements qui ont de la valeur dans la vie d’une personne. Elles ont un grand potentiel économique en tant que « souvenirs » ou sur *** L’image s’est dématérialisée. Les cartes postales représentent un enjeu de mémoire et ont encore un fort potentiel économique. ll n’y a pas de différences significatives dans le traitement de l’image d’un pays arabe à l’autre. Les artisans photographes ont tous la même éducation technique ou artistique, utilisent les mêmes codes culturels, les mêmes techniques et font des images du monde arabe comme ils ont photographié l’Afrique ou l’Asie. Seuls les sujets, les lieux et peut-être les formes changent. Ils ont des styles différents mais il y a une profonde unité dans l’ensemble. Les puissances coloniales n’ont pas tout de suite compris l’intérêt de ce nouveau média et toléré n’importe quoi (photographies érotiques, scènes de combats montrées de manière crue, etc.) et puis ils se sont ressaisis, en faisant une propagande assez efficace, en choisissant de ne montrer que les beautés des terres fertiles. Ils ont ignoré partout les civilisations autochtones (par exemple berbères) là où ils ont estimé qu’elles n’étaient pas assez productives ou «utiles», n’ont montré que le «folklore» et ont traité avec condescendance les autres cultures. Les régimes issus des indépendances ont suivi la même politique en occultant dans certains cas les dynasties destituées. Les cartes postales se veulent donc un ensemble homogène d’un monde arabe pourtant si riche et si différent. Les révolutions arabes de 2011-2012 offrent une opportunité historique pour que les réseaux et groupements professionnels nationaux se reconstituent, donnant aux éditeurs, photographes, artistes et journalistes arabes une existence et une visibilité collective réellement démocratique, libre et indépendante du pouvoir. La recherche scientifique sur les images dans le 21 L’épistémicide est le rejet de toute rationalité quand elle ne convient pas. 22 Voir le fameux ouvrage de Narcisse COTTE, Le Maroc contenporain, qui dresse un tableau complet des «races» du pays (1860) 23 Nicolas BANCEL, Le sens des mots dans les usages de la photographie anthropologique (1860-1900). 24 Exposition «Ma Tunisianité» de Slown (photographe), in La Presse de Tunisie. 17 août 2015. 56 monde arabe est relativement ancienne et manque de suivi. Il n’existe pas pour l’histoire de l’image dans le monde a Ʌ