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l’homme par les sociétés musulmanes restent camouflées et, pour le moins, énigmatiques. Prétendre détenir des réponses en ce domaine sinueux est plus que vaniteux. S’il peut exister, dans l’ancrage à la religion islamique, des éléments qui permettent quelques interrogations légitimes, il est difficile d’affirmer que les sociétés musulmanes sont imperméables aux droits de l’homme, entendus dans leur conception universelle. Dans les sociétés islamiques, la majorité des législations étatiques se confondent avec la Charia ou alors elles s’en inspirent fortement. Même dans les Etats laïcisants ou se réclamant d’une certaine sécularisation, les survivances de la Charia, se ressentent à travers les textes de lois et se manifestent à travers la pratique et les mentalités qui la commandent. Certains ne voient dans la Charia aucune contradiction avec les droits de l’homme. Ils développent une rhétorique, en apparence séduisante, consistant à citer quelques versets du Coran favorables à la liberté de conscience et à l’égalité entre l’homme et la femme. Ils banalisent la violence des châtiments corporels en insistant sur le contexte historique propre à leur édiction, et mettent, éloquemment, en exergue certaines normes islamiques spécifiques relatives à la tolérance et à la solidarité telle que l’aumône (La Zaket). Nous en convenons, la religion islamique a représenté une révolution remarquable par rapport au contexte historique et civilisationnel dans lequel elle a émergé. Il n’en demeure pas moins que la théologie islamique (Fiqh), dans sa diversité rituelle et interprétative, garde une forte vocation législatrice, temporelle, qui prend corps dans la Charia. Bien des prescriptions de la Charia peuvent apparaître comme frontalement antinomiques avec les droits de l’homme. Les exemples sont illustres : La liberté de conscience et, précisément, la liberté de renoncer à l’Islam et de choisir une autre religion, est conçue comme un acte mécréant et condamnable. En effet, l’apostasie (Ridda), considérée comme un crime suprême, est punie par la peine de mort. La dignité de l’homme et son intégrité physique sont violées par des châtiments corporels tels que la flagellation (sanction de la fornication), la lapidation jusqu’à la mort (sanction de l’adultère commis par les personnes mariées), et l’amputation de la main (sanction du vol). Le droit pénal islamique est, à cet égard, dominé par la loi du talion et par la contrainte par la douleur. Les exemples de règles peuvent, bien entendu, être nombreux. Mais, plus généralement, et au-delà du système prescriptif temporel que constitue la Charia, les notions de Droit et d’Etat en Islam interrogent par leur spécificité conceptuelle. En partant de la perception, répandue dans les sociétés musulmanes, de ces deux notions, il est plus aisé de déceler certains clivages ou lignes de fracture qui séparent les sociétés occidentales et celles musulmanes sur la question des droits de l’homme. Force est de constater que dans la théologie islamique, la prescription revêt un caractère holiste et dépasse le cadre purement spirituel, couvrant largement des aspects de la vie morale, politique et juridique. La Charia est, en grande partie, composée de dispositions juridiques ressemblantes en tous points aux normes de droit positif. Il s’agit, en effet, de règles abstraites, générales, permanentes et obligatoires. Les droits de l’Hommes et l’Etat musulman Dans la pensée islamique, l’Etat est fondé sur la foi. Aucun Etat ne peut avoir de légitimité sans la foi. Le chef de l’Etat islamique est le chef de tous les croyants (Amir Al Mo’ominin). Paternaliste, patriarcal, le Calife (le successeur du prophète) détient une autorité absolue. C’est une sorte de berger providentiel, volontariste et protecteur, vers qui toute politique converge et duquel tout bienfait irradie. Le peuple, infantilisé, lui a délégué tout pouvoir et toute décision. Gardien de l’Islam, il veille à l’application de la loi islamique, supervise l’interprétation de cette dernière par les savants religieux (Ulémas). Sa politique, de paix ou de guerre, est menée au nom de la religion. De ce fait, le pouvoir politique se confond avec la religion et ne peut en être dissocié. Cette confusion explique que, de par l’histoire de la civilisation islamique, il n y’a jamais eu de théorie de l’Etat au sens qu’entend aujourd’hui le droit public, et encore moins de contre-pouvoir. La confusion entre le politique et le religieux, personnifiée par le Calife, ne pouvait, donc, mener qu’au despotisme. En outre, le pluralisme politique, c’est à dire l’existence dans le paysage politique d