ANNONCE ORTHODOXE 35 | Page 8

A propos de la vie du chrétien aujourd’hui

Nous célébrons toujours dans le rayonnement de la fête de la Pentecôte, tous les saints de France. C’est une fête qui nous remplit de joie, et en même temps a comme un arrière-goût, dirai-je, d’amertume, lorsqu’on voit quelle est la situation actuelle de la France.

Pendant un millénaire, la France a été en pleine communion, en pleine union avec tout le reste du monde chrétien. Et à cette époque, la France a été un réservoir extraordinaire de sainteté, en particulier pendant les trois siècles de l’époque mérovingienne, époque où la France gravitait encore autour de Constantinople, comme tous ces autres états européens qui faisaient partie de ce qu’on a appelé « le Commonwealth byzantin ».

Oui, pendant cette époque, la France a été un réservoir extraordinaire de saints, si l’on peut ainsi s’exprimer. C’est au point que l’on a qualifié le régime politique de l’époque mérovingienne d’« hagiocratie », c’est-à-dire de gouvernement des saints. Certes, tous les rois mérovingiens n’ont pas été exemplaires dans leur vie personnelle, dans leur vie privée, mais nombre d’entre eux s’entouraient de saints, qu’ils prenaient comme ministres et conseillers.

C’est une époque où les saints étaient partout présents en France, si l’on peut dire. Et le peuple en était tellement conscient qu’un peu plus tard, au cours de l’époque carolingienne, les gens, paraît-il, se posaient cette question : « Pourquoi n’y a-t-il plus de saints ? Pourquoi, alors qu’il y avait tellement de saints dans les siècles précédents, y en a-t-il si peu maintenant ? » Il y en avait tout de même, il y en eut encore pendant des siècles, sans aucun doute.

Mais la France a eu, dans la suite, un sort que je comparerai volontiers à celui de l’Asie Mineure. L’Asie Mineure a été, dans les premiers siècles du christianisme, et à la grande époque des Pères de l’Église, aux IVeet Ve siècles, le foyer le plus ardent de vie chrétienne de tout le monde chrétien. C’est là que les plus grands parmi les Pères de l’Église ont presque tous vécu. Mais peu à peu, au cours des siècles, progressivement, une croyance non-chrétienne a commencé à s’y introduire, tantôt par la voie du commerce et de l’immigration, tantôt par les armes.

Père Placide Deseille

A partir du XIIIe siècle, l’Islam s’est ainsi infiltré, a gagné une partie de la population, si bien qu’au XVe siècle, Constantinople est tombée sous ce nouveau pouvoir, et l’Asie Mineure est devenue ce que nous appelons maintenant la Turquie, un pays où, certes, subsistent encore des chrétiens, mais avec beaucoup de difficultés et en très petit nombre.

Eh bien, en France, il s’est produit quelque chose de comparable. Non pas à cause de l’Islam, mais à cause du ralliement d’une partie cultivée de la population à un rationalisme antichrétien et militant, totalement étranger à l’esprit de l’ancienne France. Petit à petit, à partir du XVIe siècle, des tendances hostiles à l’Église, hostiles parfois simplement au christianisme, se sont fait jour. Pendant longtemps, cela n’a pas semblé tellement dangereux, car le christianisme authentique restait profondément vivant. Il y a eu en France au XVIIe siècle des hommes spirituels tout à fait remarquables. Mais au XVIIIe siècle, la lutte contre le christianisme est devenue virulente, conduite par un pseudo-prophète qui s’appelait Voltaire, possédé par la haine du christianisme, et menée de concert avec lui par un certain nombre de philosophes qui voulaient détruire le christianisme en France, qui voulait y établir une irréligion qui s’imposerait à toute la population. La Révolution a déployé pour arriver à ce but les violences les plus extrêmes, jusqu’à vouloir exterminer des populations entières, fidèles à leur foi. Et au cours des trois derniers siècles, cette lutte a été ardente. Il ne faut pas se dissimuler que nous vivons, aujourd’hui, dans un climat de persécution, non pas de persécution sanglante, mais de persécution insidieuse : les attaques contre la foi chrétienne se sont multipliées et, aujourd’hui, sont partout présentes, dans les média et la vie publique. Oui, nous sommes dans une situation comparable, différente mais comparable, à celle des chrétiens d’Asie Mineure, des chrétiens de Turquie. Il faut en être bien conscient. Il ne faut pas croire que l’on peut facilement transiger avec une pareille situation. Il faut se faire une âme de témoin, une âme de martyre, dirai-je. Non pas, encore une fois, que nous soyons menacés d’un martyre sanglant, pour l’instant au moins, mais nous devons avoir cet attachement profond à notre foi chrétienne, cet amour du Christ qui l’emporte sur tout autre amour, sur tout autre attachement, oui !

Il n’est pas possible, pour un chrétien, de vivre comme un non chrétien. Or tout nous y incite. On parle d’évolution des mœurs, d’évolution de la civilisation, à laquelle il faudrait bien conformer, si l’on ne veut pas être ridiculisé, être traité de rétrograde et de réactionnaire. Mais si la civilisation a changé, c’est parce que cette civilisation n’est plus chrétienne. Ce n’est pas un progrès ! Dans la mesure où nous voulons rester chrétiens, où nous avons la certitude que là est la vérité, dans cette même mesure, nous ne pouvons pas accepter de transiger avec les mœurs ambiantes, avec ce qui est devenu pratique courante dans notre société : licence sexuelle, divorce endémique, union libre, avortement banalisé, tendance à satisfaire toutes ses envies, recherche sans limite du profit. Y céder, ce ne serait pas seulement violer des règles établies par l’ Église ; ce serait se fermer à la joie véritable, aux pures joies de l’âme, pour sombrer dans la morosité qui assombrit tant de nos contemporains.