ACTES FIAPA | Page 59

C ’ est dire que l ’ accompagnement est à court et à long terme , à différents niveaux , et aide les personnes à sortir de l ’ état dit victimaire notamment en participant ou en organisant différentes actions locales , nationales ou internationales , cérémonielles , commémoratives , à visée pédagogique , citoyenne , c ’ est-à-dire en somme des actions en faveur d ’ un étayage au lien social souvent mis à mal après avoir vécu une infraction traumatique .
Comme je vous le disais , je suis psychologue clinicienne . J ’ ai une formation universitaire , spécialisée dans le domaine du lien social , des situations de crise et de traumatismes . Depuis 2016 , j ’ ai rencontré de nouveaux acteurs , appris à structurer et à consolider des politiques publiques , privées ou associatives dans le domaine de l ’ aide aux victimes , que ce soit pour les enfants , pour les adultes et a fortiori pour les personnes âgées . Ma fonction avant tout me conduit à recevoir de nombreuses personnes impactées , stressées voir même traumatisées , à la suite de la rencontre potentiellement traumatique avec un élément contingent .
Catastrophes et faits de guerre , pour reprendre l ’ intitulé de notre journée , signe un grand désordre qui n ’ est pas sans produire des effets , laissant le sujet humain déboussolé et la société égarée . Catastrophes et attentats sont tous deux épinglés par d ’ insignifiants événement dans ce sens que les événements vont dans le cours actuel des choses qui nous concernent collectivement et au cas par cas .
Un événement est comme sa racine latine nous l ’ indique ce qui peut advenir , se produire . Cet événement survient contre toute attente , cela relève de l ’ inattendu , de l ’ imprévu . Ainsi , catastrophes et faits de guerre possèdent une logique de rupture , de discontinuité . Il peut alors s ’ ensuivre du fait de la contingence , de l ’ impréparation du sujet si je puis dire , une certaine fixation associée à une éruption , c ’ est-à-dire à ce qui a impacté le sujet . Si on prend l ’ expression commune disant « l ’ événement fait date », pour le sujet traumatisé cela s ’ actualise dans le fait qu ’ il y a un avant et un après .
La marque laissée par la rencontre traumatique n ’ est pas seulement fonction de la nature de l ’ événement subi ou encore de la proximité avec le danger , mais je crois avant tout que l ’ histoire familiale est subjective . Les essais cliniques de la rencontre avec le tunnel de la mort sont connus et travaillés . Ils permettent l ’ établissement d ’ un diagnostic précieux dans le domaine de la prise en charge . Je ne reprendrai pas ici les signes cliniques mais on pourra en discuter .
Je voulais partager avec vous deux vignettes cliniques qui s ’ inscrivent dans la lignée des mesures qui nous sont mises en exergue dans l ’ intitulé de notre séminaire , à savoir celui de la protection et de l ’ inclusion des personnes âgées .
Je vais vous parler succinctement de Monsieur O que j ’ ai rencontré au début du mois d ’ août 2016 . Il a 68 ans et c ’ est l ’ une des premières fois qu ’ il ressort à la suite du 14 juillet .
Il vient m ’ adresser sous forme de listes exhaustives les maux dont il souffre depuis cet événement . Il fait état de crampes au ventre , il se plaint de ne plus pouvoir manger de viande rouge , ni même de pouvoir en voir , ce qui le dérange beaucoup car Monsieur O , me dit-il , est un « carnivore », il aime plus que tout « cuisiner des côtes de bœuf ». Cela peut sembler anecdotique surtout si on imagine le contenu des autres entretiens qui pouvaient se tenir par ailleurs . Mais pourtant j ’ ai pris Monsieur O très au sérieux car ses symptômes qu ’ il relate , et qui en masque d ’ autres , ont conduit cet homme à véritablement s ’ isoler et à négliger sa santé . C ’ est justement au restaurant sur une des plages de la Promenade des Anglais qu ’ il se trouvait le soir de l ’ attentat . Il était en compagnie de copains . Attaqués par un sentiment de culpabilité , Monsieur O tient à préciser qu ’ il n ’ était pas à l ’ initiative de cette sortie . Il souffre de ne plus pouvoir sortir comme avant , il est pris de vertige , a peur dans la rue et de s ’ endormir le soir . Lui qui avait pour habitude de tout le temps sortir , dorénavant en journée il s ’ enferme . Ce premier entretien , à l ’ instar de nombreux qui suivront , inaugure un sujet pour lequel Monsieur O se montre perplexe et méfiant ce qui me donne des indications pour mener mon entretien . Ceux-ci sont fixés le même jour chaque semaine , le plus tôt possible , ce qui le pousse à sortir et avoir un point de repère dans la semaine . Pendant plusieurs semaines , Monsieur O ne peut plus répéter la liste des maux dont il souffre , il ne peut rien aborder de ce qui lui arrive , il se plaint toujours . La dimension même de la plainte est ce qu ’ il y a de plus vivant chez ce sujet .
Monsieur O décrit régulièrement un quotidien inquiétant , où le vide et l ’ appréhension sont sur le devant de la scène . Il dit qu ’ il a des idées de suicide qui lui traverse de plus en plus l ’ esprit . Il ne peut dormir dit-il , tout comme j ’ apprends qu ’ il néglige dangereusement depuis plusieurs années en réalité le traitement pour son diabète .
Cela l ’ a d ’ ailleurs conduit à avoir le cœur nécrosé en grande partie . Monsieur O rejette la responsabilité de ce handicap sur les médecins ,
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